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[roman] Frankia (livre 1) : fantasy résistante

Une nouvelle Opération Masse critique m’offrait l’opportunité d’entrer à nouveau en Fantasy, royaume presqu’oublié auquel j’ai toujours préféré la SF spatiale limite hard science. Plusieurs éléments m’avaient cependant poussé à mettre Frankia dans ma liste de souhaits : c’était français et c’était une variation (à ma connaissance) inédite de la tendance steampunk – en lieu et place d’une Angleterre victorienne parallèle, on avait une France de la première moitié du XXe siècle dans laquelle les créatures de Féerie auraient naturellement leur place parmi les humains.

Alléchant. D’autant que l’uchronie proposée s’efforçait non pas de réécrire l’Histoire en proposant une vision alternative, mais de conserver la même structure temporelle en s’efforçant d’y insérer des fragments de pure fantasy (magie, Orcs et Elfes). On sortait dès lors du cadre plus proche de Jules Verne traditionnellement utilisé dans ce sens.

Mnémos proposait donc un livre au format poche à la pagination soignée, très dense dans sa composition (les marges sont étroites), ce qui promettait des heures de lecture assidue. Les chapitres avaient le bon goût de proposer des titres en gothique encadrés par un motif rappelant le cadre steampunk, et la numérotation des pages s’y accordait parfaitement. De temps à autre, une illustration pleine page (de la main de l’auteur) reprenait un des personnages-clefs, ce qui permettait de vérifier qu’il n’est pas toujours aisé de proposer une image fidèle au ressenti du lecteur. L’intérêt de ces dessins est d’ailleurs minime, mais il confère à l’ensemble un caractère plaisant et séducteur.

Les premières pages eurent ensuite chez moi un double impact : celui d’une profonde reconnaissance et d’un amer constat.

Marcastel est sans aucun doute un passionné. Il a porté son œuvre à bout de bras et l’a aménagé du mieux qu’il a pu. Il a surtout pris soin de la narrer en y jetant sa fougue verbale comme son amour de la littérature. En résultent alors des paragraphes qui m’ont tout d’abord enchanté : sans être aussi majestueusement volubile qu’un Pierre Stolze qui vous bombarde d’adjectifs parfois oubliés depuis des éons, Jean-Luc Marcastel n’aime rien tant que s’appesantir sur chaque moment, chaque description, nous les chanter presque, nous les peindre avec force détails et nuances, y revenant, encore, multipliant les synonymes et constellant quasiment chaque phrase de métaphores. J’aime ça, quand on s’applique à tirer la quintessence de la langue pour écrire. Néanmoins, j’ai dû déchanter assez rapidement. Le style de l’auteur, alourdi volontairement par le soin apporté aux finitions, finissait par nuire à l’action, encombrée de scories gênantes. Agaçant, d’autant qu’on surprenait également des répétitions nuisibles au tempo enjôleur adopté au départ. Peut-être était-ce dû à une relecture perfectible ? Car je n’ai pas décelé beaucoup de coquilles (un mot oublié, quelques fautes d’accord et deux ou trois mauvais homonymes), ce qui est tout à l’honneur du travail éditorial – cela dit, quelques paragraphes semblent avoir été retravaillés avec une mise en page différente (un crénage plus serré). Toujours est-il que, à la longue, le patient effort de l’écrivain sapait la volonté d’aller au bout, d’autant que chaque chapitre se comportait comme un épisode de série, avec des rappels inutiles. Les personnages, une fois introduits, n’en finissaient plus d’être présentés à nouveau (la palme revenant à la somptueuse Faëllia, cette « dryade sylvestre » parée d’une « chevelure de jade »).

Le constat amer fut celui d’un lecteur qui ne trouva pas son compte dans ce qu’il espérait : si le monde présenté conservait de l’intérêt, les sous-intrigues et le déroulement de la narration étaient au mieux banals, souvent prévisibles et parfois datés.

Tout cela ne fait pas de Frankia un mauvais livre – et il ne s’agit que du premier volume d’une œuvre plus ambitieuse. De jeunes lecteurs, moins blasés que moi, s’ils ne sont pas rebutés par la lourdeur du phrasé, devraient s’y plaire. Marcastel a le mérite d’enflammer l’émotion et les sentiments qui animent ses personnages, les nourrissant de mots puisés dans les siens propres : le véritable coup de foudre de Loïren pour la princesse elfe qui trouve refuge dans son modeste village des Cévennes fait plaisir à lire, et l’auteur parvient souvent à faire briller leur relation par des sentences ciselées qui tempèrent leur côté fleur bleue. Comme souvent dans ces cas, les dialogues font pâle figure et plombent le romantisme forcené de cette idylle. Quant à l’aventure, elle est incarnée par le frère acolyte de Loïren, un Orc dans toute sa splendeur, aussi brutal que civilisé, issu de la lointaine Orkia qu’on associe aux savanes d’Afrique. Les parallèles sont l’évidence même, ainsi on comprendra très vite que les espèces humanoïdes (Elfes, Orcs, Humains, Nains) sont le pendant de nos « races » humaines, l’antisémitisme se transposant alors en haine des Elfes – pourtant, toute notion de métissage est soigneusement éludée alors que ces races s’entremêlent depuis des siècles. Naïf, mais judicieux, tout comme l’usage de la magie, naturelle et bénéfique chez les Elfes, mécanisée et destructrice chez les hommes, les Nazis devenant le fruit de la soif de pouvoir de « Technarchontes ». Ici, la technologie n’est rien d’autre que l’asservissement de forces naturelles, élémentaires : les « automotrices » sont ainsi propulsées par la puissance d’une salamandre scellée en leur sein, on s'éclaire grâce à des élémentaires de foudre liés.

Un trio multi-ethnique (la princesse elfe, le jeune homme au passé inconnu – qu’on voit venir de loin – et l’Orc fier de ses origines) se trouve donc au centre de l’histoire, souffrant et aimant plus que de raison, amené à traverser la Zone libre dans le but de sauver encore ce qui peut l’être d’un monde oppressé par l’ambition démesurée du maître de Teutonia, dont les forces ont balayé une Frankia trop sûre d’elle, ou trop aveugle. Au passage, aidés par ces « Nains besogneux » qui rejettent l’idée même de l’Occupation, nos héros mettront en valeur la pugnacité et le courage des Résistants, poursuivant le combat mus par un vain espoir de jours meilleurs.

Plein de bonnes intentions, parcouru d’idées enthousiasmantes, le roman engendre la curiosité et procure des pages de plaisir, malheureusement plombé par un recours trop systématique aux métaphores et autres hyperboles qui alourdissent une intrigue simple et convenue. Une tentative méritoire, donc, qui augure du meilleur.

A noter, la très belle couverture de l'édition poche, très glamour.

Ma note (sur 5) :

2,5

 

Titre original

Frankia

Auteurs

Jean-Luc Marcastel

Format

Poche

Editeur

Mnémos 2013

Collection

Hélios Fantasy

Edition originale

 

Traducteur

 
   

Pages

565

 

Synopsis : 1940, Seconde Guerre Mondiale. Dans une France décalée où la magie se mêle à la technologie, les tracteurs à vapeur sont actionnés par des élémentaires de feu, les arachnopanzers et mécanovouivres déchaînent leur fureur mécanique, les protocoles technomanciens altèrent la réalité, les Orcs, colonisés et exploités, se sont battus aux côtés des Frankiens pendant la première guerre mondiale et les Elfes sont persécutés et exploités par les Teutoniens et leur maître, le Technarkonte Von Drakho. C'est dans ce contexte que Loïren, un jeune Frankien élevé par un Orc, en zone libre, va recueillir une jeune femme elfe poursuivie par la milice... et se retrouver au cœur du conflit qui embrase Europa. Derrière l'Histoire, celle des États et des Nations, ici ou ailleurs, se cachent le combat, la haine et l'amour des hommes et des femmes emportés dans la tourmente, qu'ils soient réels ou imaginaires...

Un cœur épris donnerait des leçons de courage à tous les conquérants du monde.

p.106

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